"Inclus-nous, exclus-toi : l'exclusion ou la mauvaise conscience sociale"

Texte écrit pour la première soirée thématique "Exclus-moi, inclus-toi" organisée le 30 septembre 2014 à l'Equitable Café de Marseille.

Exclusion vient du latin excludere : « ne pas laisser entrer, mettre dehors ». Sa première utilisation dans les sciences sociales remonterait à Michel Foucault (« Histoire de la folie à l'âge classique »). Puis, du père Joseph Wrésinski (fondateur d'ATD Quart-Monde) jusqu'aux travaux de Pierre Bourdieu (« La misère du monde ») en passant par ceux de Robert Castel (« Les métamorphoses de la question sociale ») et Serge Paugam (« La disqualification sociale »), ce terme d'exclusion a fait l'objet de nombreuses analyses. 

Ne pas laisser entrer, c'est mettre à la marge. On trace un grand trait vertical sur la grande page de la société française. A droite du trait, on place les « gens normaux », à gauche on place les « marginaux ». Une ligne de démarcation sémantique, médiatique, politique.

On les a appelés, ces « marginaux », de différentes manières au fil des siècles : mendiants, miséreux, pauvres, vagabonds, clochards, SDF, sans abri, RMIstes, bénéficiaires du RSA, usagers... Une fois que l'être humain est usagé, on le jette dans les méandres des dispositifs.

Toujours ce besoin de montrer du doigt. Stigmatiser, c'est laisser des traces visibles. 

« Après tout, ils l'ont choisie, cette vie » entend-on encore.

Mais petit à petit, on se rend compte que les exclus sont devenus un peu tout le monde. Même des cadres, d'anciens chefs d'entreprises, d'anciens ouvriers, sont devenus des « exclus ». Licenciements, fermetures d'usines, suppression de postes.

« Rien n'est précaire comme vivre », écrivait Aragon. La précarité, un autre mot apparu dans les années 80, sert à justifier de nouvelles formes de travail : temps partiel, CDD, intermittents... 

Alors, de même qu'on a inventé le mot « bientraitance » pour contredire et contrecarrer la « maltraitance », en particulier chez les personnes âgées, on a inventé un autre mot-valise, « l'inclusion ». A deux lettres près, on pouvait parler d'intrusion, d'invasion. Pas de juste milieu. On est soit dedans (si possible en marchant du pied gauche, sait-on jamais), soit dehors. On est envahis par les exclus, alors on fait tout pour les inclure – ou pas. Les envahisseurs. Ces êtres étranges qui jonchent nos rues, qui passent des heures à attendre leur tour à la CAF. David Vincent, travailleur social, les a vus. Tout a commencé par une journée épuisante où il cherchait un raccourci dans la jungle des mots, qu'il ne trouva jamais. Et là, ils sont apparus !

Ensuite, dans le titre de la thématique, il y a : « ou la mauvaise conscience sociale ». C'est choquant, tous ces gens qui dorment par terre, qui vous demandent de la monnaie devant le Carrefour City de la Canebière, qui déambulent dans les wagons de métro avec une pancarte. On est gênés, tous autant que nous sommes. On dit rien. On tend une pièce. Ce type qui vous agresse en tendant la main, ça nous énerve, ça nous renvoie à notre propre image, mais est-elle encore celle d'un être humain ? 

Le visage de l'exclusion, c'est le nôtre, c'est le tien, le mien. Pourvu que ça ne m'arrive jamais. C'est arrivé à des gens très bien, d'ailleurs. La dégringolade. Tu es en haut de l'ascenseur social, tu dévisses. 

Je finirai sur un paradoxe total : demandez donc aux salariés de Pôle Emploi, qui pour beaucoup sont en CDD depuis plusieurs mois pour ne pas dire des années, si c'est facile d'accompagner les demandeurs d'emplois, qui pour certains sont devenus des exclus, alors que ces accompagnateurs sont eux-mêmes en situation précaire. Demandons-le aussi à des milliers de travailleurs sociaux qui vivent la même chose.

Nicolas Céléguègne
Ancien travailleur social, formateur et surtout citoyen humaniste.


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