VERS LA FIN DES COLOS ?

Source : Commission des affaires culturelles et de l’éducation, « Rapport d’information sur l’accessibilité des jeunes aux séjours collectifs et de loisirs », par Annie GENEVARD, Présidente, Michel MENARD, Rapporteur, 9 juillet 2013. Pour le télécharger : http://t.co/HAXJt0m8Q9

Ce passionnant rapport est le fruit, à mon sens, d’un travail efficace de précision des informations et des données, et d’un point de vue lucide ancré dans la réalité du terrain de l’animation et des loisirs. Je ne peux que saluer cette initiative et retrouver dans ce rapport bon nombre de mes questionnements durant mon parcours d’animateur, de directeur puis de formateur. J’invite chacune et chacun à prendre connaissance de l’intégralité de ce document, qui comprend toute une partie liée à l’histoire des colonies de vacances, leur évolution au fil des décennies, et des propositions pour faire face à leurs difficultés grandissantes. Ce n’est pas un rapport qui accuse, mais qui propose. Cela change de bien des écrits… Les animateurs, directeurs, formateurs, parents, sociologues, travailleurs sociaux, élus, y trouveront une excellente analyse de la situation actuelle des séjours, qui n’a pas froid aux yeux car elle vient remettre en cause un certain nombre de pratiques. Ce rapport a le mérite d’avoir su prendre en compte les avis, questionnements et préconisations des acteurs du terrain.
J’en propose ici une analyse personnelle, qui ne se veut pas exhaustive, mais partisane et militante, puisque ce thème me tient très à cœur et que je retrouve dans ce rapport les questions que je pose sur la formation des animateurs, dans mon livre « Je prépare le BAFA » (Dunod, 2012).

Le constat : le déclin du modèle actuel des colos.

Il y a une « désaffection progressive des accueils avec hébergement de plus d’une semaine par rapport aux accueils de loisirs [les « centres aérés », dit-on communément] ou de scoutisme dont la fréquentation progresse » (page 6). Ce délitement des « colos » profite aux « centres aérés » qui organisent de courts séjours (inférieurs à 6 jours), moins coûteux et à certains égards plus conformes aux attentes des parents : ils permettent en effet de regrouper des enfants et des animateurs qui apprennent à se connaître tout au long de l’année. Les adolescents sont d’ailleurs associés au projet du séjour, et prennent des responsabilités pendant la préparation (exemples : se renseigner sur les tarifs des activités, élaborer les menus, etc.) Je reviendrai plus loin sur le scoutisme et son utilité sociale.
La baisse du taux de départ en vacances des mineurs depuis 1995, inédite depuis les années 1960, engendre un repli des temps libres des jeunes sur leur vie de quartier et sur les activités proposées par les municipalités, financées par la CAF. C’est une perte pour la « culture familiale des vacances ».
Cela a une double conséquence : la fermeture des centres de vacances, l’impact sur l’économie touristique locale notamment en milieu rural. Les bâtiments et terrains où sont construits ces centres sont vendus et reconvertis en projets immobiliers (résidences de tourisme, casinos, etc.)
L’organisation des colos est gérée essentiellement par le secteur associatif (91 %), les collectivités (29 %), le secteur privé lucratif (7 %), et les comités d’entreprises (6 %).
Les auteurs du rapport n’hésitent pas à qualifier de « ségrégation » la fracture qui marque l’accès des enfants et des jeunes aux « colos » : « alors que les enfants des milieux aisés et ceux issus de familles qui restent très aidées soit par un comité d’entreprise ou une municipalité, soit par les services sociaux, continuent de fréquenter les centres de vacances, l’absence des enfants des classes populaires et moyennes entraîne non seulement une stagnation voire une baisse de la fréquentation, mais aussi une segmentation sociale de plus en plus marquée des séjours » (p. 34)
Cette segmentation s’opère entre trois catégories :
-        Les enfants de 6-12 ans des classes populaires et moyennes des milieux urbains sont principalement inscrits dans les centres aérés (accueils de loisirs sans hébergement)
-        Les plus pauvres, tous âges confondus, vont en colo (aidés par les services sociaux)
-        Les 13-16 ans de milieux favorisés ou qui disposent encore d’aides de l’employeur des parents, participent plutôt à des séjours d’une à deux semaines.

Les causes de ce déclin des « colos » ?

Selon les auteurs du rapport, les causes sont multiples, à commencer par le prix des séjours pour les familles, la concurrence entre organisateurs (par catalogues interposés), la baisse des financements de la CAF au profit des centres de loisirs, et le retrait progressif des comités d’entreprise dans l’organisation et la gestion des séjours. C’est une logique ultra-libérale, assez paradoxale par rapport aux valeurs éducatives des organisateurs, qui prend le pas sur le reste : les CE attribuent les marchés par voie d’appels d’offres à des sociétés commerciales et au détriment du secteur associatif. De même, nous pouvons dénoncer une forme de « marchandisation » du secteur dans les collectivités territoriales. La frontière est parfois mince entre des fédérations d’éducation populaire, prises à la gorge pour maintenir des financements (et des postes de salariés permanents, des locaux…), contraintes d’adopter les techniques issues du management libéral pour survivre, et les sociétés du secteur privé lucratif. Où se situent les valeurs de l’éducation populaire là-dedans ? J’entends par éducation populaire la définition qu’en ont donné Geneviève POUJOL et Jean-Marie MIGNON (« Guide de l’animateur socioculturel », Dunod) : « projet de démocratisation de l’enseignement porté principalement par des associations dans le but de compléter l’enseignement scolaire, de former des citoyens ». Nous pouvons l’approfondir en précisant que l’éducation populaire vise l’accès aux loisirs, aux savoirs, à la culture et aux sports, et ce pour le plus grand nombre, en particulier les plus fragilisés et les plus éloignés de ces moyens outils indispensables à notre émancipation et à notre citoyenneté.
Une cause importante et à prendre très au sérieux serait la réticence grandissante des parents à inscrire leurs enfants dans les « colos ». Les enfants vivent toute l’année en collectivité, à l’école, ce qui peut freiner leur envie de partir en séjour, où ils retrouvent forcément des règles de vie sociale. Les organisateurs et les équipes d’animation s’adaptent, en proposant, à des moments choisis, des activités « à la carte » et des « moments libres pour soi ». Les familles qui le peuvent privilégieront le départ en vacances avec les enfants (ce qui, pour la cohésion familiale, est plutôt un atout).

Les parents craignent également que leur enfant soit mis en danger durant le séjour, et notamment victime d’actes pédophiles. L’image véhiculée envers les « colos » par les médias (journaux télévisés, feuilletons, cinéma…) est trop souvent passéiste, ridicule, fondée sur des stéréotypes, voire accusatrice, quand elle n’est pas dramatisée dans la rubrique « faits divers ». Or, s’il ne faut en aucun cas passer sous silence un acte de maltraitance, une défaillance ou un accident grave ou mortel, l’excès inverse se produit quasiment chaque été : le « 20h » fera un long sujet sur tel événement dramatique, alors que les milliers d’initiatives, de projets, de réalisations avec les enfants, ne seront pratiquement pas mis en avant dans les médias (sauf la presse locale). Statistiquement parlant, les accidents ou décès sont bien moins importants en centre de vacances que les accidents de la route en famille ou les accidents domestiques !

Une autre réticence des parents me semble particulièrement inquiétante et contradictoire avec les fondements des « colos » : la peur de la mixité sociale, que j’ai malheureusement pu vérifier plusieurs fois sur le terrain. Il existe des séjours dits « CAF » où seuls les « cas sociaux » (expression que j’ai bannie de mon vocabulaire professionnel car elle est méprisante) sont inscrits, souvent sans préparation avec les parents ni les enfants, et encore moins les équipes d’animation. Autrement dit, on « envoie » les enfants des quartiers dits « sensibles » de plusieurs villes dans un même séjour, un même lieu, avec des équipes peu formées, et l’on s’étonne que ces séjours se passent souvent mal, puisque l’on ne fait que reproduire, à l’échelle d’un séjour, toutes les problématiques sociales d’un quartier… Les activités y sont parfois redondantes, sans intentions éducatives, si ce n’est de « faire passer le temps aux enfants » avec des sorties consuméristes qui ne sont même pas choisies par les enfants… Pendant ce temps, les enfants des familles très aisées, quant à eux, ont « droit » à de bien beaux séjours avec des activités onéreuses et bien encadrées ! C’est en cela que les auteurs du rapport ont raison de parler de « ségrégation » !
Les parents et les équipes d’animation relèvent une autre difficulté importante : l’inscription d’enfants et de jeunes placés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), dont les foyers ferment en août, et qui écument les centres de vacances pendant un mois, là encore sans aucune préparation avec les animateurs, aucune concertation avec les organisateurs (qui peuvent même l’apprendre le jour « j » !). Je l’ai vécu, hélas… Puisque les éducateurs sont en congés, à qui s’adresser en cas de problème majeur avec cet enfant ? Cela ne peut entraîner qu’une mauvaise image des « colos » pour les enfants comme pour les parents. Il suffirait pourtant de casser la cloison qui sépare encore aujourd’hui le secteur éducatif du secteur de l’animation, car beaucoup de stéréotypes et de préjugés circulent de l’un envers l’autre. Le fait de considérer le séjour comme « mode de garde » est une erreur totale, alors qu’un séjour bien préparé AVEC le jeune, sa famille, ses éducateurs, et l’équipe d’animation, se déroulera forcément beaucoup mieux pour tout le monde. Je ne peux qu’approuver ce qu’écrivent les auteurs du rapport en ce qui concerne cette « ségrégation » qui nuit fortement aux « colos » !

Vient ensuite le manque de confiance envers les animateurs, de la part de parents exigeants qui peuvent demander à des animateurs de 17 ans de se comporter comme des substituts, contresens énorme sur le rôle et la mission de l’animateur ! Cela pose en outre le problème de la formation actuelle des animateurs. Dans mon livre « Je prépare le BAFA », au risque de soulever encore un lièvre, j’écrivais ceci :
« Le BAFA, créé en 1973, est critiqué par un certain nombre de directeurs d’ACM, d’animateurs, de formateurs, mais également de parents.
Ce qui lui est reproché, c’est de ne plus être totalement en phase avec la réalité actuelle des ACM : la société a changé, l’éducation qu’apportent les parents à leurs enfants aussi. Le cadre réglementaire s’est beaucoup durci. Les exigences demandées sur le terrain sont plus pointues qu’avant. Tout cela est certainement vrai, mais il y a un reproche plus grave encore qui est adressé au BAFA.
Il est courant d’entendre que l’on « donne » le BAFA à des jeunes qui, en stage de formation générale, ont fait le minimum pour que leur session soit validée, puis qui, en stage pratique, révèlent leurs réelles difficultés et montrent leur incapacité à travailler avec des enfants, et à assurer leur sécurité physique, affective et morale. » Quelques pages plus loin, je propose que les différents acteurs et partenaires du BAFA, sous la tutelle du Ministère de la Jeunesse, des Sports, de l’Education Populaire et de la Vie Associative, réfléchissent à une refonte du BAFA, pour le réactualiser et l’adapter aux réalités d’aujourd’hui.

La réglementation des accueils collectifs de mineurs s’est beaucoup renforcée ces dernières années, autour d’une approche de plus en plus sécuritaire, sans parler des normes de construction, d’aménagement, d’hygiène et de sécurité des locaux, rendant quasiment impossible le maintien de bâtiments anciens et pourtant patrimoniaux (vieilles bâtisses, châteaux…) et leur mise en conformité par les associations et comités d’entreprises propriétaires de ces centaines de lieux pourtant chargés de souvenirs.

Enfin, le rapport met en exergue la création du Contrat d’engagement éducatif (CEE), sorte d’ovni dans le droit du travail, « monstre juridique inapplicable » (p. 78) mis en place pour que le rôle et la fonction des animateurs et directeurs soient protégés tout en ne lésant pas le principe du volontariat qui fait la richesse de ces fonctions. Difficile à mettre en place, le CEE a pu faire l’objet d’abus de la part d’employeurs peu scrupuleux qui exploitent le travail des animateurs et directeurs, « oublient » de leur payer leurs congés réglementaires. Il y a également des abus sur les stages pratiques BAFA, car des employeurs promettent une rémunération à des stagiaires peu informés sur leurs droits et, une fois sur place, leur annoncent qu’il ne s’agit que de bénévolat. Certes ces  cas sont rares mais ils existent, ils m’ont été rapportés par des animateurs eux-mêmes. La question des congés payés pour les personnels embauchés en CEE montre bien l’impossibilité de concilier totalement le droit du travail et la vie en collectivité. J’ai même connu une directrice qui, pour régler cette question, planifiait des morceaux de plages horaires de congés tout au long de la semaine pour chaque animateur, le privant ainsi de temps forts pourtant essentiels… Cela aboutit à des situations absurdes où un animateur lance une activité le matin avec un groupe d’enfants, créant ainsi une émulation et un plaisir partagé à jouer tous ensemble, puis se trouve contraint de tout abandonner à l’heure de sa pause prévue… laissant la place à un autre animateur qui prend le train en marche !

Après ce diagnostic très précis, on pourrait se dire, en lisant  le rapport, que c’est bel et bien la fin des colos, d’une époque, et peut-être d’une partie de l’histoire de millions d’enfants partis en séjour… Mes critiques sur les expériences que j’ai vécues ou qui m’ont été relatées, tiennent à des problèmes d’organisation, de gestion, de formation, mais ne remettent pas en question à mon sens l’intérêt de maintenir les colos.

Les bienfaits des colos

Tels qu’ils sont présentés dans le rapport, je les résumerai ainsi :
-        L’éducation active : en colo, on apprend à grandir à travers les activités, les jeux, et les moments de la vie quotidienne (repas, veillées…). Il y a une dimension sanitaire pour l’enfant (bien manger, bien dormir, « avoir un rythme de vie régulier, dialoguer avec des adultes », p. 82)
-        Le jeu comme outil pour apprendre à vivre ensemble en respectant des règles, en se confrontant à l’autre dans un esprit coopératif (gagner ensemble et non gagner chacun pour soi)
-        Le rôle essentiel de l’animateur dans la socialisation de l’enfant : « ce modèle d’éducation sentimental et affectif plus qu’intellectuel ou réflexif, porte une grande attention à la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, aux besoins spécifiques de chaque âge » (p. 84). C’est pour cela que le BAFA doit, à mon sens, évoluer, tout en conservant des modules de formation sur ces thématiques.
-        La socialisation de l’enfant se construit également grâce au groupe de « pairs » : les copains, les amitiés qui durent, les premiers émois amoureux, l’émancipation collective grâce aux activités qui laissent des traces indélébiles dans la vie d’un enfant. Je prends un exemple souvent vécu : un jeune en échec scolaire, considéré comme nul et ne s’intéressant à rien, peut prendre autrement confiance en lui-même car il sera un excellent meneur d’équipe, un spécialiste de l’astronomie ou de la préhistoire, un très bon lanceur de thèque, un guitariste hors pair pour les veillées, etc.
-        Les colos sont un levier formidable pour l’engagement des jeunes. Dans mon livre j’explique que le BAFA peut entres autres être vécu comme un rite de passage entre l’adolescence et l’âge adulte : à 17 ans, tout en étant un lycéen qui vit chez ses parents, on peut devenir responsable des autres, prendre des initiatives, concevoir et mettre en œuvre des projets et des actions… Le scoutisme (à travers les 5 associations regroupées au sein du Scoutisme Français) tient à mon sens une place toute particulière dans ce processus de responsabilisation et d’éducation à la citoyenneté. Les auteurs du rapport valorisent complètement les bienfaits du scoutisme, ce dont je ne peux que me réjouir, car je fus d’abord Scout de France entre 8 et 15 ans puis animateur bénévole chez les Eclaireuses Eclaireurs de France. Cela m’a construit, aidé à grandir, à mûrir, à rencontrer des jeunes d’autres confessions, d’autres pays, à réaliser des projets ensemble, et à laisser des souvenirs indélébiles… Ce n’est pas un hasard si je suis devenu professionnel de l’animation et de l’éducation puis formateur, si je fais de la radio, si j’ai enregistré un CD pour les enfants, ni si je me suis engagé dans différentes associations, dans la politique ! Les exemples sont très nombreux d’anciens scouts devenus chefs d’entreprises, artistes, élus, journalistes, etc.
-        Les colos sont une plus-value pour le tourisme rural : ici encore j’ai l’exemple précis d’un centre de vacances en milieu montagnard dont le directeur et l’économe faisaient le choix de se fournir au maximum chez des producteurs locaux pour les repas. Les prestations achetées sur place permettent de contribuer à faire vivre l’économie touristique : bases nautiques, clubs d’équitation ou de kayak… Les sorties avec les enfants et les jeunes leur permettent de « consommer » dans les commerces de proximité.

Les 21 propositions du rapport pour « réinventer les colos ».

Elles sont résumées sur le site du député Michel MENARD sur son blog :

Elles tentent d’apporter des réponses globales, dynamisantes, en mobilisant les différents acteurs concernés par l’organisation des colos, et en agissant sur plusieurs leviers : l’aide aux familles dites des « classes moyennes » (par la CAF et par le chèque vacances), le coût des transports collectifs (SNCF), le bâti, la mise en réseaux territoriaux, l’information et la publicité restaurant l’image négative des colos, le décloisonnement administratif et juridique, la redéfinition du cadre réglementaire du CEE.

Les colos traversent une crise sans précédent, mais nous devons chacune et chacun nous mobiliser (parents, éducateurs, enseignants, animateurs, directeurs, formateurs, journalistes, élus…) pour qu’elles puissent durer encore des décennies et permettre chaque année à des milliers d’enfants de grandir, d’apprendre à vivre ensemble, et de devenir des citoyens.




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